Décret du 20 mai 2016 : Un (petit?) pas vers la fin de l’exception prud’homale ? Par Maître François-Xavier BERNARD, avocat à Dijon.

Décret du 20 mai 2016 : Un (petit?) pas vers la fin de l’exception prud’homale ? Par Maître François-Xavier BERNARD, avocat à Dijon.

La procédure prud’homale était jusqu’à présent une procédure orale, dispensée du ministère obligatoire d’avocat, caractéristiques qui s’accommodent assez mal du principe du contradictoire, pourtant imposé aux parties et au juge par les textes de portée générale du code de procédure civile (articles 15 et 16 du CPC)

Le décret du 20 mai 2016 s’efforce d’aligner pour partie la procédure prud’homale sur la procédure civile classique, en ce qui concerne l’appel : désormais, devant la chambre sociale de la Cour d’appel, les parties doivent obligatoirement être représentées, par un avocat, ou par un défenseur syndical, et la procédure devient écrite.

En revanche, il est toujours possible à un particulier de saisir le conseil des prud’hommes ou de se défendre tout seul, en première instance, la procédure demeurant orale à ce stade du procès. Ce particulier devra toutefois, veiller à respecter la mise en état, dévolue au bureau de conciliation et d’orientation, ou au bureau de jugement, qui peut être sanctionnée.

En voici quelques-unes des mesures principales applicables aux instances introduites à compter du 1er août 2016.

La saisine

Le Conseil doit être saisi, sous peine de nullité, par requête motivée, accompagnée des pièces énumérées dans un bordereau également joint à la requête. La requête doit bien sûr préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, en vertu de l’article 58 du CPC.

La représentation

En première instance, les parties peuvent toujours se défendre elles-mêmes. (R 1453-1 du code du travail).

En appel, en revanche, la représentation des parties par avocat devient obligatoire (la représentation pouvant également être assurée par les défenseurs syndicaux, qui remplacent les délégués permanents ou non des organisations d’employeurs et de salariés).

La mise en état

Le bureau de conciliation et d’orientation (BCO) fixe les délais de communication des pièces et conclusions (R 1454-1 du code du travail)

A défaut pour les parties de respecter ces modalités de communication, le BCO peut radier l’affaire ou la renvoyer devant le bureau de jugement à la première date utile. (R 1454-2 du code du travail)

Lorsque l’affaire transmise par le BCO n’est pas prête à être jugée, le bureau de jugement peut aussi assurer la mise en état. Sont écartées les prétentions, moyens et pièces communiquées sans motif légitime après la date fixe pour les échanges, et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense. (R 1454-19 du code du travail)

Les écritures

La présentation des conclusions est désormais réglementée.

Lorsque les parties sont représentées par un avocat, leurs conclusions doivent viser la pièce utilisée à l’appui de chaque prétention, ainsi que les moyens en fait et en droit qui fondent cette prétention. Les conclusions doivent comporter un dispositif : le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énumérées au dispositif. (R 1453-5 du code du travail)

Des conclusions récapitulatives doivent être adoptées in fine : à défaut, seul le dernier jeu d’écritures communiquées sera pris en compte par la juridiction.

En appel

Si les personnes ne sont pas représentées par le défenseur syndical, elles doivent constituer avocat. (R 4161- du code du travail)

A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les conclusions sont communiquées par RPVA en application de l’article 930-1 du CPC (lequel n’est pas applicable aux défenseurs syndicaux, selon l’article 930-2)

La procédure d’appel avec représentation obligatoire est applicable devant la chambre sociale (R 1462-2 du code du travail) : il n’est pas question d’exposer en détail cette procédure dite « Magendie » mais il faut savoir qu’elle est extrêmement lourde et piégeuse, à raison notamment des dispositions suivantes :

  • l’appelant doit conclure dans les trois mois de son appel, à peine de caducité dudit appel (908 du CPC)
  • l’intimé dispose d’un délai de deux mois, à compter de la notification des conclusions de l’appelant, pour conclure à son tour et former appel incident, à peine d’irrecevabilité (909 du CPC)
  • l’intimé à un appel incident dispose d’un délai de deux mois pour conclure, en réponse, à peine d’irrecevabilité (910 du CPC)

En conclusion

Le souci du gouvernement est bien sûr de moderniser la justice prud’homale, en la rendant plus rapide (d’où la mise en état, et l’application du décret Magendie en cause d’appel), plus contradictoire (la procédure est écrite devant la Cour, et les conclusions répondent à l’exigence d’une présentation imposée), et de meilleure qualité.

Quoi qu’en disent certains commentateurs, l’assimilation de la procédure prud’homale à la procédure civile n’est toutefois pas complète. Et surtout, le décret ne touche pas au sacro-saint principe du paritarisme qui demeure la particularité de la justice prud’homale.

Reste à savoir, si dans un avenir plus ou moins proche, le gouvernement (ou ses successeurs) achèvera sa réforme, en imposant une représentation obligatoire par avocat, dès la première instance.

Quant au paritarisme, les enjeux sociaux sont tels qu’il conserve sans doute de beaux jours devant lui.

François-Xavier BERNARD