Bail rural : quatre mois pour contester un congé pour reprise ? Voire plus… Par François-Xavier BERNARD, avocat à Dijon, avocat en droit rural.
- 1 juillet 2021
- Par zenon
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Qui ne connaît la sacro-sainte règle de l’article L 411-54 du code rural : le congé peut être déféré par le preneur au tribunal paritaire des baux ruraux dans un délai de quatre mois (article R 411-11 du code rural) à compter de sa réception, sous peine de forclusion.
Mais qui connaît les exceptions à ce principe, qui n’est pas d’ordre public ? (Soc. 18 janvier 1951)
L’article L 411-54 en livre deux, pour lesquelles la forclusion n’est donc pas encourue :
- Le congé a été donné hors délai (donc moins de 18 mois avant le terme du bail)
- Le congé ne reprend pas les mentions obligatoires de l’article L 411-47
La Cour de cassation nous livre une troisième exception à la règle des quatre mois.
Je simplifie les faits de l’espèce, qui sont embrouillés.
A est usufruitière, et B et C, ses enfants, nus-propriétaires d’une terre donnée à bail rural au fermier X.
A est décédée en 2002.
Le 16 avril 2014, B et C donnent congé au fermier pour reprise au 31 octobre 2015 au profit du fils de B, qu’on appellera D, qui est aussi neveu de C, et donc petit-fils de la défunte A (vous me suivez toujours ?)
Jusqu’ici, tout va bien : le congé doit être donné au profit du bailleur, du conjoint du bailleur, de son partenaire de PACS, ou de son descendant majeur ou mineur émancipé.
Or C est bien le petit-fils, donc le descendant, de feue A.
Mais le 31 décembre 2014, le partage de la succession est liquidé (il a fallu 12 ans pour liquider la succession) et les terres données à bail ne sont pas attribuées à B, père ou à mère de D.
Il en résulte qu’à cette date, 31 décembre 2014, le repreneur, D, n’est plus le descendant du nouveau propriétaire attributaire, et que les conditions de la reprise telles qu’édictées par l’article L 411-54 du code rural ne sont plus remplies.
Le fermier évincé, X, attaque donc le congé, pour ce motif, en saisissant le tribunal le 23 octobre 2015…. 18 mois après avoir reçu le congé, alors qu’il aurait dû le faire avant le 16 août 2014.
La Cour d’appel déclare donc son action irrecevable, puisque forclose.
La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille et casse l’arrêt, au terme de l’attendu suivant :
Les conditions de fond de la reprise s’apprécient à la date d’effet du congé, et le preneur peut, sans limitation de délai, invoquer un fait inconnu de lui dans les quatre mois de la délivrance de ce congé dès lors qu’il s’en déduit l’impossibilité de la reprise.
Il faut donc se placer au jour de prise d’effet du congé, soit le 31 octobre 2015 pour apprécier si le repreneur D remplit les conditions de la reprise…. Et à cette date, il n’a pas la qualité de descendant du nouveau propriétaire.
Corollaire de ce rappel : dans cette hypothèse, le fermier évincé peut saisir le tribunal pour demander l’annulation du congé, sans limitation de délai…. Soit ad vitam aeternam. ( ?)
En effet, le délai de quatre mois ne coïncide pas avec le délai de prise d’effet du congé, qui est de dix-huit mois au moins, donc il faut prolonger celui-là (le délai de quatre mois).
Mais pourquoi, sans limitation de délai, et non pas, par exemple, pour quatre mois à compter de la prise d’effet du congé ? Sans doute parce que les dispositions violées, elles, sont d’ordre public.
L’arrêt n’est pas publié à ma connaissance (il a donc peu d’importance, en principe) mais la solution est limpide, et pourra s’appliquer à d’autres cas.