Poursuite du bail rural et départ en retraite d’un copreneur. . Suite et fin ?

Poursuite du bail rural et départ en retraite d’un copreneur. . Suite et fin ?

Par Maître François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de DIJON.

L’article L 411-35 alinéa 4 du Code rural dispose que :

Lorsqu’un des copreneurs du bail rural cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s’y opposer qu’en saisissant dans un délai fixé par décret le tribunal paritaire, qui statue alors sur la demande.

Cette disposition concerne au premier chef les conjoints agriculteurs, dont l’un part en retraite, avant l’autre.

Toutefois, jusqu’en 2021, l’absence de toute information de la part du copreneur en place n’était pas sanctionnée, devant le tribunal paritaire des baux ruraux, par la résiliation du bail.

Aussi les arrêts rendus par la Cour de cassation en 2021 ont-ils résonné comme un coup de tonnerre dans le milieu fermé des ruralistes.

Si le copreneur resté en place a manqué de solliciter la poursuite du bail à son nom, le propriétaire peut agir en résiliation du bail rural à son encontre pour faute… et le tribunal doit faire droit à cette demande résiliation sans qu’il soit besoin pour le propriétaire de justifier d’un préjudice. (Civ. 3ème, 4 mars 2021, n° 20-14.141 et Civ. 3ème, 3 novembre 2021, n° 20-10.393)

Prenons l’exemple suivant : selon bail rural dont ils sont tous deux signataires, Monsieur et Madame X exploitent des terres appartenant à Monsieur Y.

Madame X part en retraite, Monsieur X reste en place sans demander à Monsieur Y, la poursuite du bail à son profit (par négligence ou par crainte qu’on ne le lui refuse) ; quelques années plus tard, Monsieur X part en retraite et souhaite céder son exploitation à sa fille, Madame Z.

Madame Z ayant demandé en vain au bailleur la cession du bail à son endroit, à son nom, elle saisit le tribunal paritaire des baux ruraux pour qu’il autorise la cession, ce qui ne pose pas de difficultés, en principe, si elle remplit les conditions requises.

Mais en défense, le propriétaire peut alors former une demande reconventionnelle en résiliation du bail en rappelant que plusieurs années auparavant, Monsieur X n’avait pas sollicité la poursuite du bail, lorsque son épouse est partie en retraite.

Et comme la situation ne peut plus être régularisée (le texte précise bien que la demande devait être formée dans les trois mois du départ en retraite de Madame X), la résiliation est de droit, c’est-à-dire automatique…

Ces cas de figure sont fréquents, et ce sont autant d’hypothèses dans lesquelles on peut, tardivement, remettre en question des situations qui paraissaient juridiquement acquises.

Sans doute consciente de ce problème, la Cour de cassation a donc apporté un premier tempérament à sa jurisprudence, en visant l’article L 411-16 alinéa 2 du Code rural qui rappelle qu’en cas de départ d’un des conjoints (ou d’un partenaire d’un PACS), l’autre conjoint qui poursuit l’exploitation a droit au renouvellement du bail.

Lorsque le bail s’est renouvelé de plein droit au seul nom du copreneur qui a poursuivi l’exploitation, celui-ci ne peut être cessionnaire irrégulier du droit de son conjoint, ce qui exclut que son bail puisse être résilié pour manquement à l’obligation d’information du propriétaire en cas de cessation d’activité de l’un des copreneurs qui résulte des alinéas 3 et 4 de l’article L. 411-35 du même code (Civ. 3ème 6 juillet 2022 n° 21-12.833)

Autrement dit, face à des preneurs mariés ou pacsés, si le bail s’est renouvelé à terme (par exemple, au bout de neuf ans s’agissant d’un bail rural classique) avant que le propriétaire ne saisisse la justice ou ne forme sa demande reconventionnelle en défense, ce dernier ne peut plus solliciter la résiliation au motif qu’il n’a pas été informé.

La solution protège les droits des preneurs négligents.

Mais la Cour de cassation a encore précisé sa jurisprudence, cette fois-ci en procédant à un revirement partiel qui nous semble anéantir la solution tirée de l’arrêt précité du 6 juillet 2022 (Civ. 3ème, 30 novembre 2023, n° 21-22.539) dans deux attendus de principe dont le premier n’est qu’un rappel :

  • En effet, la cessation de la participation à l’exploitation du bien loué par l’un des copreneurs, qui y reste tenu, est de nature à faire obstacle à la cession du bail (3e Civ., 3 février 2010, pourvoi n° 09-11.528, Bull. 2010, III, n° 29… la Cour de cassation se cite elle-même).
  • Ce texte ne crée donc, pour le copreneur resté en activité, qu’une simple faculté, dont le non-usage ne constitue pas une infraction aux dispositions de l’article L. 411-35, de nature à permettre la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1°.)

Ainsi, et jusqu’à nouveau revirement : le propriétaire ne peut plus arguer du silence du copreneur laissé en place pour solliciter la résiliation du bail ; néanmoins, il lui reste la possibilité de s’opposer à la cession du bail.

Ce n’est plus le repreneur en place qui est sanctionné, mais l’éventuel cessionnaire… et le souci du droit rural, qui est de protéger le fermier, est sauf.

Ainsi, pour reprendre notre exemple précédent, Madame Z, attraite devant le tribunal paritaire des baux ruraux par la fille de Monsieur X (qui demande la cession du bail de son père à son profit) ne peut plus former une demande reconventionnelle en résiliation du bail, mais elle peut s’opposer à cette cession.

Le résultat n’est pas le même mais la sanction est là pour le cessionnaire de l’exploitation.

On n’insistera donc jamais assez sur la nécessité qu’il y a pour le preneur d’informer le bailleur lorsque son copreneur quitte l’exploitation : certes, le bailleur peut alors refuser que le bail se poursuive sur une seule tête, en saisissant le tribunal paritaire des baux ruraux mais le risque est en principe moins important pour le copreneur resté en place, qu’il ne le sera plus tard lorsqu’il voudra céder son bail à son descendant.

François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de DIJON.