Management toxique. Harcèlement moral ou non ? Par François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de Dijon.
- 1 mars 2024
- Par zenon
- Dans Droit du travail et Conseil des prud'hommes
Pour paraphraser un vieux slogan publicitaire pour une boisson : ça a le goût du harcèlement moral, la couleur du harcèlement moral mais ce n’est pas du harcèlement moral !
Dans un arrêt du 14 février 2024 (n° 22-14.385), la Cour de cassation rappelle que la pratique par un salarié d’un « mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés » est de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
L’arrêt est inédit et il n’a donc pas de portée de principe mais c’est un arrêt de cassation dont on peut apprécier la solution.
Les faits étaient les suivants : une dirigeante d’EHPAD était coupable d’un management toxique envers le personnel, qui accusait deux démissions, des arrêts de travail, un mal-être et une souffrance généralisés.
La directrice est licenciée pour un motif disciplinaire. (on ne sait pas si l’employeur use de l’accusation de harcèlement moral dans son courrier de rupture).
La Cour d’appel de PAU juge que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse puisque les faits de l’espèce ne permettent pas de caractériser le harcèlement. (CA Pau 3-2-2022, n° 19/01455)
Pour ce faire, l’arrêt d’appel passe en revue les griefs articulés par l’employeur qui tente de caractériser le harcèlement moral commis par la directrice licenciée :
- les courriers et attestations produits font état d’une attitude générale ou d’événements non datés et non de faits précis et circonstanciés,
- la seule dénonciation d’un climat de travail tendu, de conditions et de relations de travail effectivement difficiles ou heurtées, ne peut valoir qualification de harcèlement moral
- la situation de tension, voire de stress ou de contrariété, même intense, qui est liée à un contexte professionnel difficile, à la nature de la tâche du salarié, ou à l’étendue de ses responsabilités, voire à une surcharge de travail, ne peut non plus être qualifiée de harcèlement moral.
L’arrêt est cassé, pour le motif suivant :
- La pratique par la salariée d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, ce qui était de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
En d’autres termes, peu important que le comportement de la directrice n’ait pas constitué un harcèlement moral dès lors que ce comportement relevait en lui-même de la faute grave au regard de ses conséquences sur la santé des salariés.
La notion de harcèlement moral est omniprésente dans les prétoires prud’homaux (parfois même, elle constitue un ajout obligatoire de précaution pour l’avocat consciencieux, dans ses conclusions alors même qu’on se trouve assez loin du harcèlement…) mais sa définition est si exigeante qu’elle n’est pas toujours retenue par les juridictions, en dépit de l’aménagement probatoire réservé à la victime supposée.
Cette focalisation sur le harcèlement moral, notion parfois utilisée à tort (et à travers) aussi bien dans les médias que devant les conseils de prud’hommes ne doit pas faire oublier le principe fondamental : le management de l’entreprise qui a des répercussions sur la santé des salariés est punissable en lui-même.
Et de surcroît, il peut éventuellement relever du harcèlement moral
Employeurs, n’oubliez pas de viser cette notion de comportement toxique dans vos lettres de licenciement et d’insister sur ses conséquences (on proposera : « votre comportement est constitutif de harcèlement moral, à tout le moins, il relève d’une pratique managériale toxique ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et la santé de nos salariés… »
François-Xavier BERNARD