Invention des salariés : à qui appartiennent-elles?
- 2 juillet 2024
- Par zenon
- Dans Droit du travail et Conseil des prud'hommes
Invention de salariés : à qui appartiennent-elles? Par Maître François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de DIJON.
Beaucoup d’inventions ou de créations sont réalisées par des salariés dans le cadre de leur travail. Ces inventions ou créations peuvent être protégées par le droit. Mais à qui appartiennent-elles ? A l’employeur ou au salarié ? La question se pose avec acuité en cas de divorce entre les deux parties (démission, licenciement), chacun réclamant la propriété de l’invention au prétoire…
Le droit nous propose des réponses équitables mais d’une mise en œuvre parfois complexe.
Tout dépend notamment de la nature de la création du salarié (œuvre originale ou invention), du régime de protection qui en découle, mais aussi des termes du contrat de travail.
Protection par le droit d’auteur
Le droit d’auteur protège toute œuvre de l’esprit pourvu qu’elle soit originale : logos, chartes graphiques, textes, photographies, dessins mais aussi logiciel, relèvent de ce régime.
Le principe est simple : le droit de propriété intellectuelle appartient au créateur de l’œuvre, sans qu’il soit besoin d’aucune formalité, ce que rappelle le code de la propriété intellectuelle en son article L 111-1 :
L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
L’existence ou la conclusion d’un contrat de travail ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit d’auteur.(article L 113-9 du C.P.I.)
Toutefois, le contrat de travail peut prévoir une clause de cession des droits d’auteur au profit de l’employeur laquelle est étroitement encadré, le droit étant très favorable au créateur qu’il protège :
- D’une part, un contrat de cession doit être conclu, qui doit comporter des mentions obligatoires précises, le domaine d’exploitation de chaque droit cédé devant être délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. (article L.131-3 du CPI).
- D’autre part, la cession globale des œuvres futures étant prohibée, un contrat de cession doit être conclu entre le salarié et employeur pour chaque création réalisée
Il existe une exception à ce principe : les droits sur les logiciels créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.
Le logiciel créé par le salarié appartient donc à l’employeur sauf à démontrer que le salarié s’est placé pour ce faire hors de ses fonctions, ce qui est source de conflit en cas de grand succès commercial.
Protection par le droit des brevets
Le droit des brevets protège les inventions nouvelles, susceptibles d’une application industrielle. (machine, procédé industriel, médicament …) Le logiciel n’est pas brevetable, il relève de la protection du droit d’auteur.
Contrairement au droit d’auteur, qui n’exige aucune formalité, la protection n’est pas acquise tant qu’un brevet n’est pas délivré par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle.
Le droit est ici moins favorable au salarié qu’à l’employeur, l’article L 611-7 du C.P.I. distinguant entre trois types d’inventions :
- les “inventions de mission”
- les “inventions hors mission attribuables”
- les “inventions hors mission non attribuables”.
L’invention de mission est celle réalisée par le salarié par le salarié dans l’exécution :
- d’un contrat de travail comportant une mission inventive permanente
- ou d’études ou de recherches qui lui sont confiées explicitement
L’invention de mission appartient à l’employeur, le salarié n’a droit qu’à une rémunération supplémentaire fixée par le contrat de travail ou un accord collectif.(ou par le juge à défaut)
L’invention hors mission attribuable est celle qui n’est pas créée à la demande de l’employeur mais comporte un lien avec l’entreprise :
- car elle entre dans son domaine d’activité ;
- ou car elle est faite par le salarié dans l’exécution de ses fonctions ou grâce aux moyens techniques et connaissances mis à sa disposition par l’entreprise.
Par exemple, l’invention d’un traitement des déchets réalisé par un employé qui était simplement chargé de réaliser ce traitement, est une invention hors mission attribuable si l’inventeur a utilisé ses fonctions et le laboratoire de l’entreprise.
L’invention appartient au salarié mais l’employeur peut se la faire attribuer en toute propriété ou se faire concéder une licence d’exploitation, moyennant le paiement d’un juste prix au salarié (le salarié a une option entre une rémunération forfaitaire ou proportionnelle au chiffre d’affaires réalisé, il s’agit de ne pas se tromper dans son choix…)
Enfin, l’invention non attribuable est réalisée en dehors de toute mission confiée par l’employeur et ne présente aucun lien avec l’entreprise, elle appartient au seul salarié.
En pratique, tout salarié qui réalise une invention a l’obligation d’en faire déclaration à son employeur, quelle que soit l’invention, qu’elle soit de mission ou hors mission.
Le salarié doit déclarer son invention à son employeur en lui proposant un classement, c’est-à-dire la catégorie dans laquelle il classe son invention. S’il existe plusieurs inventeurs, ceux-ci peuvent établir une déclaration conjointe.
Si l’employeur entend contester ce classement, pour revendiquer l’invention qu’il estime être de mission, il doit prouver que l’invention se rattache bien à la mission qu’il a confiée au salarié.
Là encore, le contentieux est abondant puisque l’Institut National de la Propriété Intellectuelle estime que 90 % des inventions sont le fruit du travail de salariés.
Bien sûr, ce régime peut être aménagé par le contrat, mais dans un sens plus favorable au salarié (qui pourrait se voir investi des droits sur une invention de mission par exemple).
En conclusion, il est conseillé tant à l’employeur qu’au salarié, de bien veiller à la rédaction des clauses de leur contrat de travail en la matière, pour prévenir les contentieux. L’avocat trouve tout son rôle, il est irremplaçable.
Maître François-Xavier BERNARD, avocat au barreau de DIJON.